Tu trouves qu’il y a trop de bateaux neufs ?
Conrad : Il y a un décalage entre les grosses et les petites équipes. Quand les petits, comme moi, souhaitent monter en gamme, les grosses équipes ne lâchent généralement pas leurs bateaux, ce qui explique que ça construit en permanence. Je trouve d’ailleurs qu’on marche un peu sur la tête d’en sortir autant, surtout des prototypes purs avec tout l’outillage et l’impact qui va avec. La solution ? Peut-être de faire comme les Ocean Fifty et limiter le nombre de places dans la classe.
Justement, toi, tu as décidé de rénover un ancien bateau. On le rappelle en 2017, lors de ton tour du monde, tu avais équipé ton précédent bateau d’un moteur électrique dont l’arbre tournait en navigation pour recharger les batteries à la manière d’un hydrogénérateur. As-tu ré-édité l’expérience ?
Conrad : Non, je n’avais pas le droit. La classe estime que ce n’est pas dans la jauge et ils n’étaient pas vraiment ouverts à la discussion (la règle de classe oblige à plomber l’arbre d’hélice car le fait qu’il ne serve pas à la propulsion est considéré comme invérifiable NDR). Malgré ses efforts en matière de transition écologique, je trouve que la classe IMOCA fait beaucoup de bruit mais agit peu finalement. Cette notion de zéro émission en course, qu’on soit tous vu comme des symboles de transition énergétique, on n’arrive pas à bien saisir cette opportunité, je trouve que c’est du gâchis.
Ce combat tu continues à le mener quand même ?
Conrad : Oui, je suis en train d’anticiper le Vendée Globe 2028. Je milite pour un changement de règle qui dirait : si le moteur à combustible est non négociable, OK. Mais imposons de ne pas l’utiliser et obligeons tous les skippers à le remplacer par des énergies renouvelables. De plus, depuis six ans, les systèmes ont évolué. Ils sont plus légers, plus petits, plus compacts et performants. Si avec mon petit budget et ma petite équipe j’y arrive, les grosses teams devraient aussi.
Est-ce que d’autres skippers vont dans ton sens ?
Conrad : Oui il y a quelques exemples dans la flotte. Phil Sharp avec son kit hydrogène vert, Alan Roura qui a aussi un moteur électrique sur son bateau*. Je suis ravi d’avoir été le premier mais maintenant j’aimerais que tout le monde fasse pareil, que ça se démocratise.
Et sur ce bateau, quelles sont les innovations qui ont été mises en place ?
Conrad : On a d’abord passé six mois à revaloriser un vieux bateau au lieu d’en construire un neuf. On a poncé jusqu’au carbone, on a renforcé ses vieux os, on l’a rendu plus fiable et performant. On a optimisé la surface du pont pour mettre un maximum de panneaux solaires qu’on va installer l’hiver prochain. En fait, on a réfléchi à l’aménagement en se demandant : qu’est-ce qu’on peut faire pour que ça devienne une centrale solaire ?
Fabio : C’est vrai qu’il n’y a pas forcément de nouvelles technologies encore apportées mais ce qu’il y a à bord a été amélioré et tu pars avec une capacité de production d'énergie de l’ordre de 3000 watts, en gros ce qu’il faut pour l’autonomie d’une maison.
Conrad : À titre de comparaison, avec 3000 watts, tu peux faire tourner le frigo, recharger ta voiture électrique. A bord, ça revient à alimenter ton pilote, ton désalinisateur, ton système informatique… juste avec le solaire et l’hydroélectrique.
On te sait très investi dans ton projet, tu as contracté un prêt, tu cherches encore des sponsors, comment gères-tu tout de front ?
Conrad : J’alterne entre la tenue de jogging pour la préparation physique du sportif, la combinaison de chantier pour poncer le carbone, et le costard pour aller à Paris présenter le projet et trouver des sponsors. Multi-casquettes !
* Hublot, le bateau d’Alan Roura, ex Hugo Boss, est bien équipé d’un moteur électrique de propulsion mais son arbre est plombé pendant la course. La recharge des batteries se fait via un générateur diésel.