Le duo Erwan Le Roux et Audrey Ogereau © Jean-Louis Carli / Alea
Ocean Fifty
Édition 2023 25 octobre 2023 - 10h27

Erwan Le Roux : "Audrey était une évidence…"

Voilà 17 ans qu’une femme n’avait pas mis les pieds sur un Ocean Fifty pour prendre la Route du café. C’était en 2007, Karine Fauconnier s’offrait la victoire avec Franck-Yves Escoffier sur le Multi 50 Crêpes Whaou. Depuis, plus rien ! La preuve de la sous-représentation féminine dans la course au large. Erwan Le Roux, triple vainqueur de la Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre (2009, 2013 et 2015), a décidé d’en faire son combat. Former un duo mixte était sa priorité. Audrey Orgereau, issue de la filière olympique et déjà présente dans l’équipe, s’est naturellement imposée comme co-skipper avec à la clef une première place sur le Pro Sailing Tour 2023. A les voir s’ajuster l’un l’autre leur bonnet lors de la présentation des Ocean Fifty sur le village, Erwan et Audrey ont une complicité flagrante. L’alchimie se confirme quand on leur tend le micro…

Erwan, on ne te présente plus en Ocean Fifty à la différence d’Audrey, nouvelle recrue, comment est-elle arrivée sur ton bateau ?

Erwan Le Roux : Que ce soit dans la course au large ou dans les métiers du numériques (son partenaire Koesio est le leader des projets numériques pour les PME et les collectivités), on a très peu de femmes. On est autour de 20%. Alors quand j’ai cherché mon co-skipper, en accord avec mes partenaires, mon premier critère a été de choisir une femme.

Audrey navigue avec nous depuis 2022. Cette année quand on a fait notre premier stage avec tout l’équipage, ça m’a paru comme une évidence, pas besoin de chercher la pépite elle était là. Elle s’est intégrée tranquillement. Elle a découvert le monde des multi, elle a cet oeil de la première fois si précieux.

La magie a opéré tout de suite entre vous ?

Audrey Ogereau : Oui carrément. Ce qui était appréciable au début c’est qu’il n’y avait pas de pression comme sur les régates, ce qui peut parfois t’empêcher de progresser ou de t’adapter au bateau. C’était très confort et ça m’a permis de me former avec Erwan, de faire monter crescendo la pression avec les bonnes billes pour pouvoir jouer.

Et comment on passe d’un Nacra à un multicoque de 50 pieds ?

Audrey : C’est sûr, c’est plus gros et on n’est pas sur le même type de régate ! Les Ocean Fifty c’est génial en fait. C’est assez petit pour avoir des sensations de vitesse et de gite et en même temps on peut traverser l’Atlantique avec, on dort à bord. Je suis aussi entrée dans une autre dimension logistique avec les équipes techniques, de communication… C’est impressionnant mais c’est aussi un super confort d’avoir toutes ces personnes pour faire avancer le projet.

Le duo Erwan Le Roux et Audrey Ogereau © Jean-Louis Carli / Alea
Le duo Erwan Le Roux et Audrey Ogereau

Raconte nous ton parcours ! Il y a encore peu de temps, tu étais derrière un bureau ?

Audrey : Exact ! Pour tout dire, j’ai quitté mon job seulement en avril dernier pour me consacrer à la Transat Jacques Vabre. J’ai tiré quelques bords en Optimist quand j’étais ado, fait des études d’ingénieur en même temps que je préparais les JO de Rio (2016) en Nacra 17 avec Matthieu Vandame. L’objectif des jeux a fini par s’éloigner. J’ai fait une pause dans la voile pour terminer mes études et commencer à travailler. Mais la voile me manquait trop. J’ai été contacté par Oman Sail pour faire le Tour du monde à la voile avec un équipage féminin. Puis nouvel arrêt pendant le COVID, avant le coup de fil de Sandrine Pelletier, qui gère le projet d’Erwan. Au début je naviguais sur mes congés, il fallait accorder les plannings, c’était compliqué, alors j’ai fini par lâcher mon poste d’ingénieur !

Qu’est-ce qu’apporte Audrey à votre duo ?

Erwan : La rigueur et l’analyse de la performance, sûrement grâce à son passé dans l’olympisme. On avait un manque dans l’équipe et Audrey est bien dans ce rôle-là. Elle apporte aussi un peu de fraicheur, de jeunesse, une vison différente, elle a beaucoup de sensations. Et nous, ça nous permet de revenir aux bases. Quand Audrey pose des questions, ça nous fait réfléchir, aller plus loin. Tout le monde est gagnant. Cette transmission, c’est ce qui est interessant.

Finalement, vous avez trouvé vos marques ensemble ?

Erwan : Totalement, on est complémentaire dans l’attitude et dans la volonté d’aller gagner.

Audrey : On s’est bien entrainé justement pour être sur la même longueur d’onde car on n’avait pas forcément les mêmes automatismes au début, c’est normal.

Erwan : Oui, sur le bateau, on a fait des choix : Audrey plutôt à l’arrière et moi au piano. On a du retrouver nos repères, on les a testés sur le Fastnet. C’était une étape cruciale pour avancer au mieux en vue de la Transat Jacques Vabre. Aujourd’hui, tous les voyants sont passés au vert, ça nous permet de partir sereinement.

Erwan, tu as remporté trois fois la Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre (2009, 2013 et 2015), tu as le statut de favori, ça rajoute de la pression ?

Erwan : non la pression on la boit le soir ! Si on est favori, c’est qu’on a fait une belle saison, qu’on a bien navigué, gagné des régates. Le niveau est tellement élevé que ça se joue à rien. Il y a six Ocean Fifty en capacité de gagner, à nous d’être plus malin et de finir devant le deuxième. Mais j’aimerais bien emmener Audrey sur le podium.

Tu es aussi co-président de la classe Ocean Fifty, il y a eu un gros renouvellement du plateau, qu’en penses-tu ?

Erwan : Chaque année on dit la même chose, mais je pense vraiment qu’il n’y a jamais eu un tel niveau chez les Ocean Fifty. Il y a des nouveaux skippers, de nouvelles équipes, de nouveaux partenaires, de nouveaux bateaux. La classe est dynamique mais le bémol c’est qu’on est seulement six au départ. Il y a encore deux bateaux à vendre, le mercato après la Route du Rhum a été compliqué. Mais si on se replace 4 ans en arrière, sur le départ de la Transat Jacques Vabre de 2019, on n’était que trois… On sera sûrement 10 dans deux ans et on jouera à guichets fermés. Pour nous, l’objectif ce n’est pas de construire à tout va comme les IMOCA ou les Class40, c’est de mettre les acteurs de la course au large autour de la table pour dire "arrêtons les conneries". Dans notre classe, ça fait des années qu’on prône la sobriété. On est 10 et on restera 10. Si tu commences à créer des régates dans les classes pour pouvoir se qualifier sur les courses, on s’en sort plus. Aujourd’hui ce n’est pas le bateau qui fait la différence, ce sont les choix que tu fais, le binôme, la cohésion. Chaque bateau a ses qualités et c’est au skipper de les exploiter.

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