LA MANCHE #ÉVIDENCE NAUTIQUE
Édition 2023 10 novembre 2023 - 17h04

Allô maman, bobo… Comment se soigner à bord ?

Pendant les premiers jours de course, les bateaux ont été malmenés. Il y a eu de la casse, chez les hommes aussi. Deux skippers se sont blessés : Scott Shawyer sur Be Water Positive et Alexis Loison sur La Manche #Evidence Nautique. L’un a dû abandonner, le second a pu reprendre la course avec une attelle au bras droit. Comment arrive-t-on à gérer une blessure pendant une course au large ? Nous avons demandé aux principaux intéressés et au médecin de la course. Explications.

Se blesser en mer est la hantise de tout skipper. Il faut alors gérer à la fois le bateau et sa propre santé. En duo, heureusement, le skipper, encore valide, peut prendre la barre et ramener à bon port son collègue touché. C’est ce qui s’est passé mardi dernier, à bord de La Manche Manche #Evidence Nautique. Alors que le bateau évoluait dans des conditions de mer et de vent difficiles, au sud du Golfe de Gascogne, Alexis Loison se blesse en "matossant", c’est-à-dire en déplaçant le matériel à bord pour faciliter l’inclinaison du bateau.

Le duo Alexis Loison et Nicolas Jossier (© La Manche #Evidence nautique)

"Sur une vague, il a été éjecté avec un sac et il a traversé le bateau"

Lors de la vacation de 11h, les voix se veulent rassurantes à bord de La Manche #Evidence Nautique. Plus de peur que de mal. Entre deux vagues, Nicolas Jossier relate leur mésaventure. "Je faisais la sieste. Des sacs ont bougé pendant que je dormais. Alexis est allé les remettre. Il y avait beaucoup de mer, 30 nœuds. Sur une vague, il a été éjecté avec un sac et il a traversé le bateau. Il s’est à moitié assommé et il s’est réceptionné sur son poignet. Là j’ai entendu crier. J’ai ouvert les yeux rapidement, j’ai eu peur, parce qu’en regardant dehors je ne voyais personne. J’ai eu le réflexe de regarder devant et là j’ai vu Alexis à moitié sonné en train de se tenir le poignet."

Le poignet enfle, Nicolas "dégaine l’iridium" et appelle alors le médecin la course. A distance, Laure Jacolot pose quelques questions et leur demande une photo. Diagnostic : suspicion de fracture, il faut rentrer au port le plus proche pour passer une radio. A la Corogne, les médecins note une possible fracture. Alexis repart avec une belle attèle mais peut reprendre la mer. Les deux compagnons de mer doivent désormais trouver leur rythme et adapter la vie à bord avec "3 mains au lieu de 4""Je préférais mon poignet d’avant, sourit Alexis, mais je m’y fais au final. Je me suis fait une belle frayeur car j’ai vraiment traversé le bateau à toute vitesse. Mais je suis content d’être en mer et en course, c’est mieux que de bouder à la maison."

Un autre équipage a lui aussi été confronté à des soucis médicaux. Mercredi, le bateau Be Water Positive avertit la direction de course qu’il met le cap vers Gosport, près de Portsmouth, suite à un problème de santé. Après avoir consulté les médecins et son équipe, Scott Shawyer décide d’abandonner. “C’est une déception. Nous avons effectué tellement de travail sur le bateau et pour nous préparer également, mais c’est le destin, de la malchance. J’ai hâte de me retrouver avec l’équipe d’ici quelques jours pour élaborer la prochaine étape de notre programme.” En effet, le skipper s’est voulu rassurant, il devrait se rétablir rapidement.

 

L’assistance médicale de la course

La course au large fait rêver mais elle reste un sport à haut risque. Sur chaque course, une équipe médicale est dédiée. Les organisations font souvent appel à l’association AMCAL (Association médicale de la Course Au Large), composée de Thierry Charland, Laure Jacolot et Marine Rolland. Ces trois médecins du sport travaillent tous à Lorient et ont donc l’habitude de voir passer les skippers dans leurs cabinets. Thierry a commencé sur le Trophée Jules Verne avec les ULTIM avant de poursuivre avec la Route du Rhum, la Solitaire du Figaro, le prochain Vendée Globe et bien sûr la Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre. Il faut dire que pour cette édition, l’association a eu fort à faire avec 190 skippers au départ. Car leur rôle ne se limite pas à répondre aux maux du bord. En amont, ils sont chargés de récupérer les dossiers médicaux des concurrents, s’assurer que tous les examens sont à jour et qu’ils sont aptes à prendre la mer.

Une fois en course, leur rôle est de parer à toute éventualité. "On a un numéro de téléphone affiché dans tous les bateaux qui renvoie vers celui qui est d’astreinte (24h ou 48h)." explique Thierry Charland. C’est donc ce numéro que l’équipage de La Manche #Evidence Nautique a contacté lorsque Alexis Loison s’est blessé. Laure Jacolot a pu gérer à distance. Mais il arrive que la blessure soit bien plus grave comme l’explique Thierry Charland "On a un gros joker qui est le CCMM de Toulouse (Centre de consultation médicale maritime). On peut les appeler quand un skipper n'est vraiment pas bien. Ils prennent la main, se mettent en conférence téléphonique avec le bateau et les CROSS français ou étrangers pour coordonner les secours". Thierry se souvient y avoir eu recours lors de la dernière édition de la Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre "Un skipper m’appelle en me disant que son co-skipper s’est pris la bôme dans la tête. Ok, je me dis trauma-crânien. Je lui demande comment il va et il me répond "là il dort". Bon ce n’est pas une bonne idée. Je lui demande de le réveiller pour lui parler. Le co-skipper va bien au final, il sait où il est, il est bien orienté mais j’appelle quand même le CCMM. Le centre s’est alors mis en relation avec le bateau et le CROSS local. Ils les ont laissés poursuivre mais les ont appelés toutes les heures pour surveiller."  Dans le cas d’Alexis Loison, les médecins de la course continuent de le suivre de près chaque jour.

  

Une trousse à pharmacie de compèt’

Si les skippers font appel à la cellule médicale, c’est que le problème est déjà important. Pour les bobos plus classiques, les marins ont l’obligation d’avoir à bord une trousse à pharmacie homologuée par la fédération. Elle a été réalisée par une vingtaine d’experts (ophtalmologues, dermatologues, dentistes…). On y retrouve aussi bien des médicaments contre les maux d’estomac, les nausées, le baume contre les coups ou douleurs musculaires mais aussi des kits de sutures. "Au fil des courses, on regarde toutes les pathologies qui nous remontent pour l’améliorer, précise Thierry Charland. Sur la Route du Rhum, par exemple, on a eu beaucoup de problèmes dermatologiques, de peau, par manque d’hygiène, parce qu’ils sont dans des vêtements qu’ils ne changent pas, parce qu’ils se lavent avec des lingettes ou avec de l’eau de mer. Peut-être qu’il faut qu’on revoit ce volet-là"

Mais encore faut-il savoir se servir de tout ça ! Rassurez-vous, les skippers ont tous suivi une formation médicale poussée "On leur fait un petit cours sur la peau, sur comment se suturer, comment mettre une perfusion. Et c’est obligatoire pour tout le monde, pour le solitaire comme le double, dès qu’on traverse l’Atlantique."

Et pas de jaloux, ! Que ce soit les ULTIM, les Ocean Fifty, les IMOCA ou les Class40, tout le monde est logé à la même enseigne et doit s’en remettre à cette cellule médicale. Si certaines équipes décident d’avoir leur propre médecin, celui-ci devra impérativement tenir au courant le médecin de la course en cas de soucis médical, qui reste le référent.

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