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Édition 2023 17 novembre 2023 - 15h01

En coulisses… avec la direction de course, "impossible de s’ennuyer"

La direction de course est la vigie d’une course au large. Elle veille sur les bateaux, bien sûr, mais a aussi un rôle logistique primordial et souvent insoupçonné. Plutôt discrets de prime abord, dans leur bulle, ils et elles sont de véritables passionné(e)s qui pratiquent leur sport d’une manière différente, tout aussi palpitante. Rencontre avec l’équipage DC de la Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre.

Sur la porte, les mots "direction de course" appellent à la discrétion. A l’intérieur, les yeux alternent entre les deux écrans géants accrochés au mur, qui retransmettent la position des bateaux et les conditions météo en temps réel, et les écrans d’ordinateur rafraîchissant régulièrement les ETA (heures estimées d’arrivée des bateaux). Ambiance studieuse… "Je suis en stage d’observation de troisième" glisse Alexis Courcoux, le dernier arrivé dans la bande. Il n’en faut pas plus au reste de la troupe pour remettre une pièce dans la machine et poursuivre l’échange sur le ton de l’humour.. L’atmosphère bon enfant qui règne traduit une cohésion et une complicité naturelles entre les cinq membres de la direction de course : Francis Le Goff, Yann Chateau, Sylvie Viant, Miranda Merron et Alexis Courcoux. Bienvenue dans le cœur de la machine. 

 

Ménage à cinq

Un principe de base régit une direction de course : rester groupé. Que ce soit au Havre ou en Martinique, tout au long de la course, ils vivent sous le même toit. Une grande coloc’ garante de réactivité comme l’explique Yann Chateau, directeur adjoint "Si les faits de mer s’accélèrent, il faut pouvoir réveiller les gens, pour être suffisamment nombreux en ressources humaines, et gérer la crise." Par "faits de mer", entendez toute avarie technique ou humaine à bord qui perturbe la progression du bateau. Comme les skippers, ce club des cinq se relaie jour et nuit. En solo ou à deux, ils vivent au gré des "quarts", toutes les 4 heures, pour chaperonner la flotte. 

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© Jean-Marie Liot / Alea Point météo pour la DC

Allo ? Ici la tour de contrôle 

La mission première d’une direction de course reste, évidemment, la sécurité des concurrents. Elle observe leur avancée, tout en analysant les phénomènes météo qui égayent leur route. Aucun indice, aucune aide, juste une surveillance depuis leur tour de contrôle pour s’assurer que les marins ne vont pas rencontrer des tempêtes dantesques et risquer leur vie (comme la tempête Ciaran), auquel cas le parcours peut-être adapté. Une veille qui vaut tant sur l’eau, qu’à bord. Car l’autre mission de la "DC" (pour les intimes) est de consigner, dans un carnet de bord, toutes les avaries techniques que les bateaux rencontrent. Cela leur permet d’avoir une vue globale et permanente de l’état de la flotte. Des données essentielles, non seulement pour la course, mais aussi pour tout l’espace maritime.

Navigateur et sauveteur à la fois 

Une course au large ne se joue pas sur un espace fermé comme un terrain de foot ou un court de tennis. Elle se déroule dans un milieu vivant. Les skippers, comme la direction de course, doivent composer avec des centaines voire des milliers d’autres personnes sur l’eau. Et justement, Yann Chateau nous raconte que, la veille, une balise de détresse s’est déclenchée près de la flotte. "Le MRCC nous a appelés. On a vérifié que ça ne venait pas de chez nous. Ensuite, on leur a donné les disponibilités de nos bateaux qui pouvaient se rendre sur zone si on avait besoin de faire une levée de doute. A ce moment-là, on participe à l’organisation des secours, pour la personne qui a déclenché cette balise mais ne fait pas du tout partie de la course". En effet, à partir du moment où ils sont en mer, les skippers deviennent à leur tour des marins susceptibles de porter secours. Et la direction de course assure la coordination avec le CROSS et le MRCC (Centres de coordination et de sauvetage français et international)."Sur l’édition 2021, il y avait un bateau de migrants en difficulté dans la zone de nos bateaux, se souvient Yann. Rapidement on avait fait le lien avec le MRCC de Ténérife et on a alerté les concurrents qui étaient juste derrière de rester en alerte, car on aurait pu les dérouter pour aller porter secours à cette embarcation."

 

Le plan rouge 

Malheureusement, il arrive que les skippers eux-même aient besoin d’assistance. En début de course, le trimaran Le Rire Médecin - Lamotte démâte. Une avarie majeure qui les oblige à se dérouter vers la terre. "Il faut bien mesurer les degrés d’assistance et d’urgence, précise Yann Chateau. Le Rire Médecin - Lamotte était en difficulté mais une difficulté contrôlée. Ils n’ont pas déclenché de balise de secours, ils ont prévenu qu’ils travaillaient pour sécuriser le bateau." Dans ce cas-là, la direction de course prévient tout de même le CROSS Gris-Nez (CROSS de référence pour les bateaux français naviguant en zone internationale), une sorte de pré-chauffe en cas d’aggravation de la situation. Parallèlement, si le bateau ou l’équipe a besoin d’un petit coup de pouce technique pour revenir à terre, la DC va puiser dans ses contacts (marins, ports…). Avec l’expérience, elle a acquis un solide carnet d’adresses !

Si toutefois la situation devient dangereuse, la direction de course continue d’informer le CROSS et le MRCC qui prennent alors le relais. Ces deux organismes pourront, si nécessaire, engager des moyens supplémentaires, comme dérouter des cargos ou des pêcheurs à proximité, voire envoyer des secours par hélicoptère.

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© Jean-Marie Liot / Alea Yann Chateau, directeur adjoint à la DC

Formulaire B12, au guichet C, s’il vous plaît. 

Fort heureusement, cette joyeuse bande ne vit pas dans l’angoisse perpétuelle d’une avarie. Ses missions vont bien au-delà de l’ange-gardien. Comme la face cachée de l’iceberg, il existe tout un pan de ce métier bien souvent méconnu ou mésestimé : l’organisation pré et post course. Soyons clair, on ne sort pas 95 bateaux d’un port en un claquement de doigt. Cela demande une longue et minutieuse préparation qui implique tous les acteurs locaux des villes de départ et d’arrivée. "Au Havre, on a travaillé avec le port pour avoir une interdiction de chenal pour les activités commerciales le temps du départ de la course et une suspension du trafic maritime". Et on imagine bien le boulot quand on sait que le port du Havre est le deuxième plus grand port de France. N’oublions pas que le début de la Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre fut quelque peu chamboulé. 

Il a fallu gérer un re-départ à Lorient, dans les mêmes conditions administratives, mais également un deuxième départ du Havre."Si on prend le départ des IMOCA, raconte Yann, la pêche à la coquille Saint Jacques avait repris donc il fallait réussir à avoir un dispositif qui permettaient aux différentes personnes qui travaillent sur la mer de poursuivre leur activité tout en adaptant nos zones restreintes." En Martinique, il a fallu gérer la logistique de placement des bateaux dans la baie de Fort-de-France. Un travail qui peut paraître chronophage sur cette édition, comme le reconnaît Yann, mais qui les passionne. Car la direction de course travaille aussi sur toute la conception du projet, en amont. 

 

Comment on trace un parcours ?

La première chose, pour qu’une course ait lieu, il faut en dessiner le tracé. Cela se fait à partir du cahier des charges donné par l’organisateur comme l’explique Francis Le Goff, directeur de la course. "Avec la connaissance qu’on a des bateaux et de la météo dans la période où le départ sera donné, on essaie de tracer le meilleur parcours en adéquation avec l’ADN de la course. En l'occurrence, pour la Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre, on parle de la transat la plus exigeante, la plus longue, en double et pour quatre classes de bateaux. Elle a historiquement toujours fait une route plutôt nord - sud, qui passe par l’équateur, le Pot-au-noir et elle essaie de faire arriver les bateaux tous ensemble."

Les quatre parcours, qui ont été dessinés pour cette 16ème édition, sont le fruit d’un brainstorming général entre le directeur et ses adjoints. Ils se sont appuyés sur les performances des bateaux actuels et sur les modèles météo des 25 dernières années sur l’Atlantique. Un long travail de recherche et d’analyse pour offrir le meilleur plateau de jeu aux concurrents. Car c’est bien ce qui animent Francis, Yann et toute la bande : la diversité des courses. "Une Transat Jacques Vabre ne fait pas l’autre. Tu peux avoir les mêmes joueurs, ce sera toujours différent d’une course à l’autre."

 

"J’aime la complexité de ce métier"

Après avoir énuméré toutes les tâches, somme toute assez complexes, d’un directeur de course, on est en droit de se demander : mais pourquoi s’infliger ça ? Difficile pour Francis le Goff de trouver les mots justes. A l’écouter, ce métier semble inné, ancré en lui. "J’aime la complexité de ce métier", confie Francis. "Tu ne sais jamais du jour au lendemain, même de la minute à l’autre, ce qui va arriver. J’aime répondre à toutes les sollicitations diverses et variées qu’il y a autour d’une course et qui se présentent. C’est un métier où il est impossible de s’ennuyer." Et ce n’est pas Yann qui le contredira ! "Ce qui est passionnant c’est aussi la variabilité de l’exercice. Un démâtage en Class40, ça peut prendre 3 heures comme 1/4h. On peut avoir un skipper en stress, avec des déclenchements de secours qu’il faut tempérer, l’accompagner pour trouver les bonnes solutions car il est en panique. Et puis tu peux avoir le démâtage où on t’appelle 1/4h après en te disant "Ne t’inquiète pas, tout va bien, il fait route à tel endroit". Un même fait de mer peut être géré de manière complètement différente."

Et le moins qu’on puisse dire c’est que cette édition des 30 ans de la Transat Jacques Vabre Normandie le Havre aura eu son lot de surprises et de suspense jusqu’au Rocher du Diamant. Pari réussi pour la DC ! 

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