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Class40
Édition 2023 Village départ Le Havre 22 octobre 2023 - 17h45

Ian Lipinski et Antoine Carpentier : « Sur le plan sportif en Class40, on se régale ! »

Après les multicoques hier, c’était au tour des Class40 d’être présentés au public havrais aujourd’hui. Plus grosse flotte des engagés de cette 16ème Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre avec 44 concurrents, les monocoques de 12,18 mètres promettent une furieuse bagarre entre Le Havre et Fort-de-France. Plus de la moitié d’entre eux ont été mis à l’eau depuis la dernière Route du café, tous des scows, et tous piaffent d’impatience dans le bassin Paul Vatine. C’est justement l’équipage du premier scow apparu en 2019, qui nous a accueilli aujourd’hui pour un entretien tous azimut.

A côté de son voisin de ponton Edenred, la laque rouge un peu farinée de Crédit Mutuel trahit l’âge du plan Raison lancé en 2019. Premier scow, vainqueur aux mains de Ian Lipinski et Adrien Hardy de la Route du café 2019, c’est donc ce bateau qui a chamboulé la Class40, jetant aux oubliettes les anciens bateaux à nez pointus (ils ne sont plus que 13 au départ cette année) et imposant une nouvelle logique architecturale. L’équipage est un peu en retard, mais c’est pour la bonne cause, puisque Ian Lipinski participe ce matin à une opération ramassage des déchets organisé sur les plages du Havre. C’est l’occasion de passer une tête à l’intérieur de ce 40 pieds dont la largeur maximum court presque jusqu’à l’étrave.

Les Class40 sont des engins radicaux mais simples. Pas de quille basculante, encore moins de foil… L’espace intérieur décloisonné est très clair avec la lumière extérieure tamisée par les tissus de verre sur ces coques où l’usage du carbone est prohibé pour contenir les coûts.

Pas de hauteur sous barrot, aucune trace de confort au milieu des sacs de matossage, des six voiles et de la bonne vingtaine de bidons d’eau que les marins passeront d’un bord à l’autre pendant les 15 jours du parcours. L’écran d’ordinateur fixé à l’épontille fait office de table à cartes. Pas de cuisine mais un simple Jet boil… Le fond de cockpit raisonne comme une peau de tambour, nos hôtes sont arrivés…

 

Ian et Antoine, vous êtes souvent cités dans les favoris en Class40, après votre belle saison 2023…  C’est un statut qui vous convient ?

Ian : Non non, on est plutôt des outsiders de luxe ! Le bassin est plein de favoris mais disons que si l’on n’a pas de gros problème ou qu’on ne fait pas de grosse bêtise, il n’y a pas de raison de ne pas batailler pour les premières places. En dehors des gros pépins que j’ai pu avoir sur la Route du café il y a deux ans ou la dernière Route du Rhum, Crédit Mutuel a toujours navigué devant.

 

Tu as un camarade qui porte généralement chance sur la Route du café !

Ian : Je ne sais pas si Antoine me portera chance sur la course, mais je sais déjà ce qu’il m’apporte avant de partir. Son expertise du Class40, toute l’expérience emmagasinée sur plein de supports différents et surtout sa faculté à temporiser. J’ai un tempérament un peu nerveux parfois. Antoine sait calmer le volcan quand ça ne se passe pas comme on veut, ça me tranquillise beaucoup avant ce genre d’échéance.

 

Antoine : C’est vrai que la Transat Jacques Vabre m‘a toujours souri (il a remporté les trois dernières éditions, deux fois en Class40, une fois en Ocean Fifty ! NDR). On forme un bon binôme avec Ian, le bateau est fiabilisé et bien optimisé, les voiles idem et les courses d’avant-saison ont montré qu’on était dans le coup, on va essayer de continuer comme ça.

 

Qu’est ce qui a changé entre ta première victoire en Class40 (avec Maxime Sorel) en 2017 et aujourd’hui ?

Antoine : Tout ! Il n’y avait pas de scow à l’époque. On était deux ou trois bateaux à vraiment jouer la gagne. Cette année, la moitié des bateaux présents peuvent y prétendre et si tu croises ça avec l’expérience des marins, ça fait encore une bonne dizaine de concurrents capable de l’emporter.

Le plateau est donc beaucoup plus relevé.

 

Ian, c’est ta faute en fait avec ce scow qui a tout changé !

Ian : C’est surtout la faute de l’architecte David Raison, il faut rendre à César ce qui lui appartient ! En 2009, il avait lancé les scows en Mini. Nous sommes en 2024 et enfin, le concept a infusé dans la course au large. Ça a mis du temps à s’imposer alors qu’on sait depuis le début que ça marche. Le frein à l’innovation et au changement est assez universel et la voile n’y échappe pas. La Classe40, comme l’IMOCA d’ailleurs, ont modifié leur jauge pour limiter le phénomène et empêcher de faire les bateaux aussi extrêmes qu’on aurait pu le souhaiter, comme les scows des lacs américains (dont la carène est une véritable gélule vue de dessus NDR). Maintenant 35 bateaux environ ont été construits dans la même logique, avec plein de variations et de déclinaisons, c’est intéressant.

 

Antoine : En fait, depuis le n°158 (Crédit Mutuel), tous les bateaux construits sont des scows. Les architectes, Manuard, Verdier, Lombard,… qui dessinaient déjà des Class40 ont compris la leçon et ont livré leur interprétation du scow. Il n’y a pas eu de parade et on ne reviendra pas en arrière, sauf si la jauge changeait ce qu’elle ne fera pas. Car ce serait contre la performance. Sur les trois dernières transats, les premiers Class40 arrivent devant des IMOCA d’ancienne génération et c’est une belle pub pour nos bateaux.

 

Ian : Ce qui est important à dire, c’est qu’avec un simple changement de forme de carène qui contrairement à des foils ou une quille basculante ne coûte pas plus cher, les bateaux sont plus rapides, plus ludiques, plus faciles d’utilisation et plus confortables.

 

Plus confortables ? Ce n’est pas ce qu’on entend à droite à gauche, il parait que c’est l’enfer à bord ?!

 

Ian : Je parle de confort au sens de stabilité de route et d’assiette. Il y a moins de stress au portant, tu pars beaucoup moins au lof, jamais à l’abattée, c’est quand même un gros plus. Entre Mini et Class40, ça fait neuf ans que je n’ai pas navigué sur autre chose qu’un scow, peut-être que ça déforme !

 

Antoine : Les bateaux mouillent moins. En revanche, quand tu plantes des pioches au près, là c’est dur, tu as des à-coups de malade. L’anecdote, c’est que j’ai fait le Fastnet cet été sur un bateau IRC, un nez pointu donc. Les gars trouvaient que ça tapait fort, alors que c’était de la rigolade par rapport à ce qu’on vit sur un scow. Heureusement, les bateaux sont solides et très bien structurés, tous ont été renforcés, parce que ça cogne vraiment fort.

 

Vous avez trouvé des trucs pour mieux vivre cette violence des mouvements ?

Ian : On s’assoit systématiquement sur des poufs car tu ne peux pas avoir les fesses sur le fond de coque quand le bateau va vite, tu te casserais le coccyx. Ce n’est pas pensable de ne pas être sur quelque chose qui amortit le chocs.

 

Antoine : Les bateaux enfournent moins mais lorsqu’ils plantent, c’est plus violent parce que ça va vite et qu’il y a beaucoup de volume de coque à ressortir de l’eau. Beaucoup de skippers se sont blessés en Class40 en volant dans le bateau vers l’avant qui n’est pas cloisonné. Ian a rajouté des filets au niveau du mât pour éviter ça, ce n’est pas bête !

 

 

Quels sont les facteurs qui ont contribué à élever le niveau sportif de la classe ?

Ian : Les bateaux sont plus attractifs, donc plus de professionnels d’autres classes débarquent. On a sans doute bénéficié du petit flottement à un moment donné de la classe Figaro et pas mal de marins sont arrivés avec ce bagage chez nous.

 

Antoine : Et puis, tu as un bon programme et tu accèdes à des courses mythiques comme la Route du Rhum ou la Transat Jacques Vabre. Donc, les skippers restent, à l’image de Corentin Douguet qui cherche à construire un nouveau bateau. L’envolée des prix des IMOCA a probablement aussi joué car le ticket d’entrée pour un projet gagnant est très élevé. On reste sur un ratio de 1 à 10 entre un Class40 et un 60 pieds.

 

Vous parliez d’une dizaine de binômes capables de gagner. Comment gère-t-on ça en course, entre la stratégie et le placement tactique, entre route optimale et contrôle des adversaires ?

Ian : Pour ce qui est de l’avant-course, je préfère être au départ avec une dizaine de favoris plutôt que d’être deux ou trois sur la sellette, comme c’était le cas au début des scows. Ça m’aide à me recentrer sur moi. Psychologiquement, je trouve ça beaucoup plus confortable, du point de vue médiatique et même entre concurrents sur le ponton. J’aime bien me faire oublier et sortir du fourré au bon moment !

 

Et sur un plan tactique pendant la course ?

Antoine : Si tu es derrière, il faut savoir identifier les moments où tu peux attaquer la flotte, où le risque de perte est faible avec beaucoup de gain possible. Et à d’autres moments, il n’ y a rien à jouer au niveau stratégique et tu dois juste être plus rapide que ton voisin. Après une fois que tu es devant, il faut pouvoir contrôler. Il y a deux ans avec Pablo (Santurde del Arco), c’est ce qu’on a fait du passage du Cap Vert à Fort de France. On aurait souhaité aller encore plus au sud mais comme personne ne se décalait, on est resté entre la flotte et le but. Nous avons eu de la chance que tout le monde joue la même option car autrement, il aurait fallu choisir notre camp avec plus de risque de perte…

 

Antoine, tu pourrais rejoindre Jean-Pierre Dick et Franck Cammas au palmarès des quadruples vainqueurs si vous l’emportez. C’est un symbole auquel tu penses ?

Antoine : Forcément, quand tu fais une carrière de sportif, tu as envie que ton nom reste. Les victoires sur les Transat Jacques Vabre sont toujours des tremplins pour chercher de l’argent et activer ses réseaux. Mais pour l’instant, je ne me projette pas. Je suis heureux dans mon rôle d’équipier, je fais ça depuis 30 ans. J’ai aimé monter le projet Redman (vainqueur en 2019 NDR) mais ce n’est pas le même équilibre familial. C’est très prenant et tu n’es jamais vraiment disponible dans la tête. C’est un luxe que d’être équipier et je peux encore me le permettre parce qu’on m’appelle. Peut-être que je vais avoir une révélation pour un nouveau projet pendant la course mais il sera temps d’en parler à l’arrivée !…

 

Et toi Ian, on avait coutume de dire que la Class40 était le tremplin vers l’IMOCA et le Vendée Globe. Pourquoi ce choix de continuer en 40 pieds ?

Nous avons évoqué la piste de l’IMOCA mais on parlait de la question budgétaire tout à l’heure et le Crédit Mutuel m’a plutôt proposé de faire un nouveau Class40. Je n’ai pas réfléchi deux minutes et j’ai répondu oui, parce que c’est très excitant et l’idée de m’inscrire dans la durée avec un partenaire qui me fait confiance est le bon choix. Intellectuellement j’adore la conception. J’ai déjà été à l’origine d’un nouveau bateau en Mini, il y a eu ce Crédit Mutuel qui a représenté un tournant dans la Classe et maintenant le prochain, c’est super. Et franchement, sur le plan sportif, on se régale. L’IMOCA, c’est d’autres défis, mais on navigue moins. Le circuit Class40, avec l’alternance de courses en flotte et de grands événements multi-classes me convient parfaitement.

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