Départ IMOCA
Édition 2023 07 novembre 2023 - 17h55

La stratégie météo, comment ça marche ?

Elle peut être la meilleure alliée, comme la pire ennemie du marin : la météo. Scrutée, analysée sous toutes les coutures, elle donne le tempo d’une course. Elle est aussi le point de départ de toute bonne stratégie. Ce début de Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre en est une parfaite illustration ! D’ici quelques heures, les IMOCA et Class40 vont devoir faire des choix de route cruciaux. Comment se décident-ils ? On vous explique tout.

Après une nuit éprouvante, les Ocean Fifty, encore en course, filent vers le sud, galopant pour accrocher les alizés. Là où le match devient intéressant, ce sont pour les IMOCA et les Class40 ! Ils vont devoir user de stratagèmes, dans les deux prochains jours, s’ils veulent rejoindre rapidement leur copains multicoques.

 

Class40 : prendre la poudre d’escampette

Commençons par les plus petits de la flotte. Les Class40 sont actuellement divisés en deux groupes alors qu’une dépression (oui encore une, mais c’est l’automne), arrive par l’ouest.

L’objectif pour le paquet d’avant, est de mettre le turbo pour arriver à passer le cap Finisterre et descendre au sud du Portugal avant le front, pourquoi ? "Là, ils ont du vent qui vient de côté (nord-ouest)", explique Christian Dumard, LE monsieur météo de la course, "avec l’arrivée de la prochaine dépression, le vent va tourner au sud, ils vont l’avoir de face, et donc avancer beaucoup moins vite."

Et déjà, une première question stratégique se pose : passer à l’est (près des côtes) ou à l’ouest (au large) du DST (Dispositif de Séparation du Trafic) du cap Finisterre ? Les rares skippers que nous avons réussi à joindre ce matin, lors de la vacation de 11 h, étaient encore incertains. "J’étais justement en train de télécharger des fichiers météos pour regarder un peu, racontait Guillaume Pirouelle (Seafrigo - Sogestran). Ce qui se dessine c’est de passer plutôt intérieur DST mais je n’ai pas encore fini d’étudier ça, on va décider au fur et à mesure." Pour Baptiste Hulin (AMIPI - Tombelaine Coquillages), la sécurité avant tout. "On va aller à la côte, se protéger de la mer. Il y aura le front dans la nuit et on est en train de réfléchir à une option passage intérieur ou non du DST en fonction des conditions de mer et de vent."

Pour le paquet arrière, les retardataires, malheureusement, ce sera double peine. Non seulement ils auront ce vent de face au large de la Corogne, mais, en plus, l’anticyclone va gonfler et les ralentir davantage.

"Les écarts qu’il y aura dans les prochains jours, ne seront pas significatifs de la performance des skippers, veut rassurer Christian Dumard, ça dépend de la génération de bateaux, entre les neufs qui iront plus vite que les anciens."

 

IMOCA, Route du café à choix multiples

Bien avant le départ, le cerveau des skippers IMOCA était déjà en ébullition. Ce nouveau front qui touchera les Class40 va aussi avoir un impact sur la flotte des 60 pieds. L’Atlantique leur offre, en gros, trois options :

• Route 1 dite "secure" : descendre le long des côtes portugaises et africaines, à l’est de l’anticyclone. Un choix peu compliqué, peu dangereux pour les bateaux mais sans vent. C’est donc prendre le risque d’aller moins vite et de perdre du temps.

• Route 2 dite "intermédiaire" : essayer de contourner l’anticyclone des Açores par l’ouest, en passant entre Madère et Les Açores, puis rejoindre les alizés.

• Route 3 dite "nord" : en théorie la plus courte. Il s’agit de passer au nord (en laissant Santa Maria à tribord) et poursuivre sur cette voie, au nord de l’anticyclone, au lieu d’aller chercher les alizés. Seul hic, aucune porte pour redescendre vers les Antilles ne semble s’ouvrir pour le moment. C’est une option risquée et qui peut s’avérer dangereuse pour les bateaux.

Carte météo au samedi 12 novembre, les choix IMOCA possibles (© Windy)

Carte météo au samedi 12 novembre, les choix possibles en IMOCA (© Windy)

Bien sûr, les plus expérimentés et les plus aguerris trouveront toujours des interstices pour se glisser et affiner ces options. Quand on vous dit que la météo, c’est stratégique ! De quoi nous tenir, nous, terriens, en haleine. 

 

Qui décide de la meilleure route ?

Ce mot, vous l’entendez sûrement à tout bout de champ : "routeur". Il faut savoir que sur la Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre, seuls les multicoques (ULTIM et Océan Fifty), plus rapides et plus sollicitants pour les marins maniables, sont autorisés à avoir un routeur à terre. C’est-à-dire une équipe qui étudie les cartes météo et les meilleures options de passage, qu’ils soumettent ensuite aux navigateurs. (Des coulisses que nous vous dévoilerons très bientôt, stand-by…)

Les monocoques (Class40 et IMOCA), plus maniables, doivent eux se débrouiller seuls. C’est pour cela que la plupart des skippers ont suivi une formation météo. Sur cette Route du café, certains duos l’ont joué encore plus fine, en s’associant avec des routeurs expérimentés ou même des météorologues de métier.

A côté de cela, la Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre a aussi son météorologue référent : Christian Dumard. Il joue un rôle prépondérant avant le départ en briefant les skippers. Mais, une fois en mer, silence radio avec eux. Il continue de veiller, en coulisses, sur les bateaux et leur sécurité. Il suit l’évolution des systèmes météo. « Si on voit un phénomène exceptionnel, une formation cyclonique à 7 ou 8 jours, des choses vraiment dangereuses qui se confirment, dans ces cas-là, on leur envoie une alerte et on leur demande réception, pour être sûr qu’ils ne se mettent pas en danger." Un œil avisé et une aide précieuse pour la direction de course.

 

Comment choisit-on la meilleure option ?

A notre petite échelle, s’il pleut au lieu de faire beau, on blâme la météo de nous avoir trempé. A l’échelle d’une course au large, le degré de confiance dans les prévisions est primordial. Christian Dumard nous explique sa méthode de travail : "On utilise beaucoup les modèles dits "probabilistes". On voit l’éventail de vent et de conditions qu’on pourrait avoir en termes de mer ou de vent. Quand on a un éventail très large, ça veut dire que l’indice de confiance est faible, mais quand on a une belle courbe avec des modèles qui se superposent, ça veut dire qu’on a un indice de confiance plutôt élevé."

A titre d’exemple, le modèle de prévision européen contient 50 variations, le modèle américain, une trentaine. Il ne s’agit donc pas de faire une moyenne et prendre au milieu, mais bel et bien de s’assurer d’une concordance des sources météos.

Une science qu’il faut savoir appréhender et analyser. Il y a encore quinze ans, les modèles n’étaient pas très bons et ne fonctionnaient qu’à court terme. Il fallait avoir la fibre météorologique pour comprendre le ciel. Depuis, les modèles ont progressé, sont plus précis, affinés, la maîtrise pure de la météo pourrait presque devenir secondaire, laissant davantage la place à une stratégie des données et du positionnement des bateaux.

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